Quelqu’un veut la peau de la loi Darcos…

Amazon ne digère pas la loi sur les 3€, en vigueur depuis un an, et se donne les moyens de faire pression sur le législateur.

En septembre 2024, Amazon a renouvelé son étude sur l’achat de livres par les Français, avec l’objectif évident de démontrer l’impact négatif de l’obligation de facturer 3€ minimum de frais de livraison à domicile (sur les paniers de livres neufs inférieurs à 35€). Impact négatif sur les achats de livres neufs, ainsi que sur l’égalité sociale et territoriale devant la culture.

La démonstration est assez convaincante, même s’il est un peu tôt pour juger des conséquence de cette loi sur l’économie du livre :

Contexte économique difficile pour l’achat de livres

  • Baisse du pouvoir d’achat : 47% des Français déclarent une diminution de leur pouvoir d’achat au cours des 12 derniers mois, ce qui affecte particulièrement les populations rurales (50%) ainsi que les classes moyennes et modestes (49% et 53% respectivement).
  • Impact sur les dépenses culturelles : 79% des personnes interrogées ont réduit ou prévoient de réduire leurs dépenses culturelles, et 28% envisagent une réduction drastique. Cette tendance est plus prononcée chez les catégories modestes (83%).

Hausse des frais de port

  • Frais de port obligatoires : la mesure, en vigueur depuis octobre 2023, affecte 62% des acheteurs de livres, qui déclarent que cela impacte négativement leur pouvoir d’achat.
  • Répercussions sur la lecture : en conséquence, 44% des répondants réduisent leurs achats de livres et donc leur consommation de lecture, en particulier chez les classes modestes (51%) et pauvres (59%).

Attrait pour le livre d’occasion

  • L’achat de livres d’occasion en hausse : 58% des Français achètent des livres d’occasion, principalement pour des raisons économiques (92%) et écologiques (80%). Les acheteurs aux revenus modestes sont les plus nombreux à opter pour l’occasion (63%).
  • Impact positif sur la lecture : 84% des acheteurs de livres d’occasion estiment que cela leur permet de lire plus. Les livres d’occasion achetés sont majoritairement des ouvrages plus anciens ou des classiques de la littérature (59%).

Déplacement vers les points de vente physiques

  • Contournement des frais de port : pour éviter les frais de port, les lecteurs se tournent de plus en plus vers des points de vente physiques, mais principalement vers des hypermarchés, des grandes enseignes culturelles ou des maisons de la presse (70%), plutôt que vers des librairies indépendantes (26%).

Conclusion : l’objectif, qui était de faire revenir les consommateurs vers la librairie indépendante, semble loin d’être atteint. Mais encore une fois, il est un peu tôt pour conclure avant d’avoir les résultats de l’année 2024, et la répartition des ventes par canaux de diffusion.

Taxe sur les livres d’occasion

Amazon en profite pour interroger les Français sur le projet (encore vague, et lancé par Emmanuel Macron avant qu’il ne perde sa majorité à l’Assemblée), de taxer les ventes de livre d’occasion à la manière des ventes de livres aux bibliothèques, afin de constituer un fonds pour rémunérer les auteurs. Le résultat n’est pas très surprenant : une majorié des Français (67%) est défavorable à l’instauration d’une taxe sur les livres vendus d’occasion. Cette mesure pourrait pousser 49% des acheteurs de livres d’occasion à réduire leur consommation de lecture, dit l’étude.

Le marché du livre a-t-il besoin de régulation… ou de stimulation ?

Prix unique du livre (1981) et du livre numérique (2011), droit de prêt en bibliothèque (2003), loi « relative à la modernisation de la distribution du livre » (2007), loi « anti-Amazon » de 2014 interdisant la livraison gratuite, loi Darcos (2023), taxation de l’occasion (?) : aucun secteur n’est autant régulé que le livre. Cela part souvent de louables intentions, avec pour argument de défendre la diversité culturelle, mais l’objectif est toujours maintenir, voire de soutenir l’écosystème de diffusion du livre tel qu’il existe depuis 150 ans. Et le résultat économique est toujours le même : un partage de la valeur qui favorise les intermédiaires (éditeur, distributeur, détaillant) au détriment des deux extrémité de la chaîne : l’auteur et le consommateur.

Comment s’étonner, dès lors, que ces derniers cherchent parfois à contourner les circuits établis ? Le piratage d’ebooks, les ventes d’occasion, l’auto-publication peuvent être méprisés comme de pures activités parasites. Mais les ignorer, c’est oublier que leur développement rapide est le symptôme d’un écosystème qui s’épuise et doit se renouveler au plus vite.

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