La dernière étude sur les jeunes et la lecture est inquiétante, car elle dessine un avenir où l’édition, dans sa forme actuelle, perdra rapidement ses clients.
À la question : « Est-ce qu’il t’arrive de lire des livres… ? », voici les réponses obtenues :
Ces chiffres font peur : entre 2022 et 2024, la part des 16-19 ans ayant lu un livre « par goût personnel » a donc chuté de 12 points et même de 15 points chez les garçons. Et le temps moyen passé à lire par les 7-19 ans a baissé de 20%, pour s’établir à 19 minutes par jour (en incluant ceux qui ne lisent pas). Que se passe-t-il ?
Le temps passé sur les écrans (hors lecture de livres numériques évidemment) est 10 fois supérieur : 3 h 11 par jour. Les jeunes délaissent donc la lecture au profit des réseaux sociaux et d’autres loisirs, depuis longtemps dématérialisés et multi-écrans : jeu, musique, vidéo. D’ailleurs, lorsqu’ils lisent des livres, ils téléchargent ou streament volontiers les versions numériques (44% contre 28% pour la population générale), de préférence sur smartphone.
Mais que lisent-ils donc ? Des BD, mangas ou webtoons pour 77% d’entre eux, et dans une moindre mesure des romans, plus particulièrement des romans d’aventure, de la SF, de la Fantasy et de la romance, avec une tendance forte sur la dark romance à partir de 16 ans.
C’est là que le bât blesse : les chiffres de ventes de BD ou de mangas numériques sont ridicules, et ne collent donc pas du tout avec ces chiffres. Quant au webtoon, il est majoritairement vendu sur des sites à capitaux coréens. Conclusion : les jeunes lisent peu, et à partir de 16 ans, ils préfèrent le numérique car il leur permet de pirater des contenus ou d’accéder à des sites de streaming peu coûteux. D’ailleurs, quand ils achètent des livres papier, ils préfèrent les acheter d’occasion (57%), donc en ligne et moins cher.
Le problème est donc double pour les éditeurs traditionnels : non seulement les jeunes privilégient d’autres loisirs, mais ceux qui lisent ne valorisent pas les productions éditoriales françaises au point de les acheter à l’état neuf ou en téléchargement légal, ni même de les faire acheter par leurs parents !
Qu’en sera-t-il lorsque cette génération entrera dans la vie active ? S’il est à peu près sûr qu’ils liront encore moins qu’aujourd’hui, on peut aussi parier que leur budget livre ne pèsera pas lourd. Deux attitudes possibles face à cette catastrophe annoncée :
- la politique de l’autruche, ou des pansements comme le pass culture, qui permet de soutenir artificiellement le marché du manga légal
- une révolution dans l’approche des contenus, des formats et des modèles économiques, que les Coréens et les Japonais ont entrepris depuis longtemps, pour se conformer aux modes de consommation actuelles et garder une petite chance de sauver les meubles !
Webtoon et nouveaux modes narratifs, adaptation aux petits écrans, lecture sociale, modèles d’abonnements… Il y a un territoire à conquérir si l’on accepte de changer de terrain. Plutôt que d’élever des digues contre les envahisseurs étrangers, les pirates et les vendeurs d’occasion, les éditeurs gagneraient à s’intéresser aux lecteurs de demain, avant qu’ils ne soient trop loin…